©Ninoutita


Je savais bien qu'il fallait que je note cette phrase quelque part, que je ne la laisse pas s'échapper des murs qui m'entouraient, que je m'accroche à ses lettres autant que je le pouvais. Car j'allais oublier, ma mémoire est certes pratique, souvent sentimentale, mais elle sait me jouer des tours que je n'enterrerai pas de si tôt.
Donc, la phrase s'en est allée, j'ai pas couru, j'ai rien écrit, je suis restée statique, stupide entre les murs, entre les murs blancs et rouges, les murs qui bougent mais seulement quand la tequila court dans mon sang.
Mais c'est une porte ouverte pour s'enfuir, ne plus se perdre dans son passé et effacer pour de bon son inconscient, à la poubelle le complexe d'Oedipe, il ne reste plus que mes mains sur le volant, et mes pieds sur les pédales. Si c'était ça la conduite contemporaine, s'en aller très fugacement et oublier de tasser ses souvenirs dans le coffre de la voiture. Enfin on arrive à bon port, et on ne se rend même pas compte que les souvenirs ne nous ont pas accompagnés. Ils sont restés à la maison, pour garder le chien sans doute.
"Où sont les enfants ?" Probablement avec le chien.
Arrête un peu tes salades, tu sais pertinemment pourquoi ils sont encore là-bas, on te dira inhumain mais moi je te comprends très bien. J'ai également peur de ce qu'ils représentent, ils sont ce qui nous attache à cette insupportable routine, à la nécessité d'être responsable. Nous leur devons rien, ils ne nous doivent rien, hormis le fait d'être atterri sur terre, terre souvent en colère, est-ce qu'on ne pourrait pas être comme ces animaux qui, une fois que leur progéniture est née, la laisse se débrouiller seule ?
Non, il faut que nous soyons attendris par la bouille de ce qui vient de naître et qui pourtant ne ressemble pas encore à quelque chose.
Mais pour le moment, les enfants sont à la maison, le coffre est vide et la mer se dresse devant nous, couleur ecchymose, un peu patriotique sur les bords. L'être humain se plaît à contempler la nature en général, mais il ne courrait pas vers le précipice d'un paysage montagneux splendide comme il court vers la mer. Pourtant, le choc peut être tout aussi violent et après tout, que ce soit dans l'eau ou dans le vide, une chute demeure une chute.
Nous avons fini par atteindre l'eau salée, mon corps a plongé et mes yeux ont oublié de se fermer. Mon mari a nagé très loin, peut-être un peu trop puisqu'il n'est pas revenu. Mais c'est plutôt pratique, au moins le coffre ne sera pas encombré par un cadavre. Il restera vide.


Alabama Song - The Doors