©Ninoutita


- Donc, je disais, elle n'a pas vraiment peur de toi mais de ce que tu représentes pour elle, ce mélange surprenant d'amertume et de désir, désir qui ne transparaît jamais, qui reste pudiquement caché sous ses cils.
Elle n'est pas, ou bien, je veux dire qu'elle n'a jamais été ce que tu crois, une illuminée sans complexe, une sorte de mannequin qui n'en finit jamais de jacasser. Elle est simple, finalement. Un tas de sentiments larmoyants, des espoirs refoulés, elle est comme toi, comme moi, comme ce mec qui a le visage dévasté par tant d'alcools ingurgités.

- Alors voilà la manière dont tu imagines comment les autres te voient, s'ils savaient que tu parles toute seule dans ta cuisine en italien, clope au bec, expérimentant toutes sortes de recettes bizarres et pas encore révélées par des livres de cuisine. S'ils savaient comme tu réfléchis trop, comme tu te trompes, comme tu t'ennuies parfois, t'amuses souvent, te contentes de trop, prends ton pied en écoutant Gainsbarre, putain, ce serait la fin de tout ce que tu représentes pour eux. Il y a une chose pour laquelle je dois te féliciter, tu n'aimes plus aucun mec, tu demeures vierge de tout sentiment amoureux. Bien sûr, quelques uns te donnent encore un peu le tournis, mais ils sont loin, n'est-ce pas ? Loin ou disparu.

- J'avouerai ma faiblesse au monde entier, je ne les ai jamais oubliés, j'ai même envoyé un message à l'un d'eux hier soir, assise près de l'autoroute, les fesses salies par des poussières de bitume. J'étais mélancolique mais tu ne comprendras pas. Tu ne le veux pas. Tu préfères la cécité à trop de clairvoyance, tu préfères la vue d'un mur à celle d'une prairie. T'es comme ça toi, un peu bornée, un peu délaissée, trop aveugle.

- T'arrives-t-il souvent d'insulter les gens dans ton lit ? Je t'imagine assez bien, la bouche collée à l'oreiller à dire des saloperies. De quoi as-tu peur ? N'es-tu pas quelqu'un de sensé ? Un être sensé censé être franc. Mais rien ne te caractérise. Tu reste un contour flou, celui d'une silhouette en contre-jour. C'est dommage parce que tu n'es pas si laide, ton visage est plutôt intéressant. Néanmoins, il demeure impossible à dessiner.

- C'est ce qu'a dit un caricaturiste, j'aurais pourtant cru mes traits faciles à grossir, à rendre laids puisqu'ils le sont déjà assez.

- Systématiquement, tu chutes dans la dépréciation.

- Je n'ai rien d'autre à crier, pas de conviction politique particulière, je n'aime pas les méchants, c'est tout.

- Connais-tu quelqu'un qui aime les méchants ?

- Tu m'emmerdes avec tes questions.

- Connais-tu au moins quelqu'un de vraiment méchant ?

- Regarde un peu en face de toi.


Washington Square - Chinese Man