©Ninoutita


Depuis l'ambigüité du mois de mai avec June, j'aime des hommes aux voix aiguës et au débit de parole rapide. Enfin, seulement lorsqu'ils chantent.
Le moral est meilleur. Ma mère me trouvait très souriante hier soir chez ma grand-mère. Je lui ai rétorqué en riant que ces sourires emprisonnaient les moqueries raillantes que j'aurais trop vivement adressées à ma grand-mère sans qu'elle n'y comprenne d'ailleurs rien. Non, je ne suis ni injuste ni même carrément méchante car ma grand-mère est une femme sans beaucoup de cœur. Chaque femme est pour elle une adversaire et je ne supporte pas cette manière de considérer l'autre. Elle ne me connait pas et n'a jamais fait l'effort de s'intéresser ne serait-ce qu'un brin à ce que je suis. Sans compter que je me sens loin de moi-même en sa présence. Elle me rends mal à l'aise, et il faut le faire pour me faire me sentir ainsi.

J'écoute ces hommes qui chantent avec une voix haut perchée, derrière on dirait une eau qui boue, ou bien des gargouillis intestinaux. Rien de très glamour et pourtant quelque chose d'exotique exhale de ces mélodies. Parfois des notes de piano viennent interrompre ce chaos volubile et charmant, si discrètement que nos oreilles y font à peine attention les premières secondes. Ensuite c'est plus évident, plus évident que l'amour. Je dévie. Je dévie tellement, toujours. Lui aussi aurait apprécié ces sons étonnants et détonnants.
Dans deux jours je suis sur le lieu de notre rencontre, les années en plus. Et les yeux bourrés d'étoiles en moins.
Tu vois, tu pourrais me poser la même question niaise qu'après chacun de nos anniversaires, "alors ça fait quoi d'avoir une année en plus ?". Tu pourrais me rabâcher les oreilles avec cette remarque stupide à souhait, qui ne sert à rien et me fait rire alors que lorsque j'avais justement des années en moins, elle faisait me fâcher. Tu pourrais et peut-être que dans ce cas-là, je t'enverrai à nouveau balader, oui, comme avant.

Quand j'étais petite, je n'sais pas je devais avoir sept ou huit ans, j'avais commencé à écrire une chanson. Quand il m'arrive de me rappeler ce souvenir, je me gondole doucement mais il y a toujours un arrière-goût amer. C'est que cette chansonnette de petite fille commençait par
"Ils sont des millions à me demander pourquoi je continue à t'aimer."
Elle était nunuche cette chanson mais j'avais tout prévu : la mélodie, les paroles, la gestuelle. Comme une mauvaise chanteuse de salles de fête, je me voyais déjà pas en haut de l'affiche non, mais admirée par mes copines, des copines qui d'ailleurs à l'époque m'en faisaient voir de toutes les couleurs.
Quand Romain ne m'a plus donnée de nouvelles en novembre 2006, ils on été effectivement nombreux à me demander pourquoi je continuais à l'aimer. Maintenant personne ne me pose plus de questions quant à lui, ou bien peut-être des "tu y penses toujours ?". Quant à l'aimer encore je ne sais pas, je n'en sais rien, je ne sais plus. Aime-t-on un fantôme ? Un idéal ? Un souvenir ? Peut-on vivre dans l'espoir de retrouver un disparu ? L'espoir nous rend-il si imbécile que cela ? Si mon orgueil falsifié me le permettait je répondrais "oui, mille fois oui".
Cependant il me semble que la fausse fierté a déserté mon caractère, elle a sans doute abandonnée l'affaire, désolée pour cette fichue Ninoutita trop butée pour être tout à fait clairvoyante. La simplicité de l'aveuglement est terriblement attractive : on ne s'en lasse jamais !


Mais n'y pensons plus ! Demain je vois une personne terrible et je n'ai pas besoin de polluer mes pensées avec cette théorie de l'autruche que j'ai adopté depuis bientôt deux ans. Non, je n'en ai vraiment pas besoin, pas maintenant et surtout pas demain !




Et j'ai une cigarette presque pas écrasée d'une marque douteuse pour toi, my love.