Ils pullulent et sont partout, les amoureux dégoulinants.
©Ninoutita
Il y a toujours la même musique chez Luc. Le même violon, la même guitare, le mariage éternel de leurs cordes, jusqu'à l'éclatement d'une de leurs vibrantes.
J'ai fini ma dissertation d'histoire de l'art ("Affirmation de la subjectivité de l'artiste : le pouvoir de la couleur") tout l'esprit en compote, la main aussi.
Il ne pleuvait pas, je l'ai longtemps cru sous mon parapluie, malgré l'absence du bruit des gouttes qui s'écrasent sur la toile, malgré les passants sans lui. J'ai étrangement eu l'idée de passer chez Luc, il habite tout près, enfin pas loin et j'ai sonné. J'ai dû avoir un drôle de rictus quand sa mère m'a ouvert, elle en impose trop, j'ai pas eu l'air désagréable au moins ?
"Tu connais le chemin", voilà ce qu'elle m'a dit, comme si nous étions de vieilles amies. Je crains qu'elle ait trop peur de vieillir. Moi j'ai peur de mourir, et de perdre aussi. Chaque âge cultive une crainte différente, c'est désespérant.
J'aimerais comprendre cette femme, je voudrais savoir ce qui est arrivé à son mari pour qu'elle s'accroche autant à son fils. Oui, que s'est-il passé, dites-moi, là, je suis sur le perron pour l'instant, je n'entrerai pas dans votre vie je vous le jure, je veux juste comprendre les poèmes de Luc pour sa maman comme s'il avait huit ans et demi, les soirées annulées parce qu'il a promis à sa mère d'aller au cinéma, au théâtre, au restaurant, à l'opéra ou simplement qu'il a besoin de regarder la télévision avec elle, de rester dans la bulle maternelle. Éternellement.
Bien sûr, je me suis tue et j'ai traversé le couloir. J'ai surpris des bribes d'instruments à cordes, toujours la même musique, je vous l'ai déjà dit.
J'ai toqué, avant je ne toquais jamais, ça devait être exaspérant mais je savais bien, oh comme je le savais trop, qu'il aimait le moindre de mes gestes irréfléchis, sans gênes, mal élevés. Je me le permettais d'ailleurs seulement avec lui, et puis, sa porte.
Maintenant je ne sais plus, je suis revenu. Il va m'ouvrir, surpris de me voir.
En fait je n'ai pas encore toqué. Tout un développement absurde a pris forme dans ma tête sans que je ne puisse bouger le poignet. Mes doigts pliés sont figés contre le bois froid, je viens de perdre le fil de mes gestes. La musique continue et s'accentue, elle devient même opprimante. Je regrette ma décision, on ne choisit pas de venir chez Luc sur un coups de tête, surtout, surtout quand on porte mon prénom. Quand on a connu ses larmes, il y a quoi, deux ans ? Ou trois ? Les larmes qui dégoulinaient pendant que la pluie serpentait dans le caniveau, à la recherche d'une ouverture, d'une échappée belle, d'un petit trou pour se faufiler et disparaître. La pluie c'était moi ce jour-là. Pour une fois que je n'étais pas les larmes, ça changeait.
Luc, c'est mon premier garçon qui pleure. Après il y a eu Romain mais en discretion, le visage dans ses mains. Luc non, c'étaient les yeux droits devant, il fixait un point transparent malgré ses yeux opaques de larmes.
Moi dans tout cela, je ne sais pas où j'étais.
C'est se souvenir de cet instant qui provoque mon tremblement, et je toque sans le vouloir vraiment, prisonnière de la bougeotte de ma main.
A l'autre bout du couloir, j'espère que sa mère ne m'a pas vue hésitée pendant trois, quatre minutes.
Il apparait et comme je l'avais prédit, il est surpris.
S'en suit des papotages, il a les yeux verts qui brillent, c'est joli à remarquer.
Moi je suis dans une ambiance bleue, très bleue, des pieds jusqu'à la tête. Ca signifie que je suis presque muette, ça ne me ressemble pas et parce qu'il sait que dans ces cas-là, l'art d'entretenir une conversation est difficile, il veut me faire découvrir une nouvelle chanteuse. "Bon c'est pas la première de l'album, mais c'est ma préférée"
A peine les premières notes de piano ont tintés que je crie presque "Youhouhouuu, Emily Jane White !".
Ensuite c'est bête mais... je suis bavarde. Je ris, je taquine et je lui raconte des anecdotes stupides. Pourtant la chanson est triste, quand je suis seule, elle recroqueville mon coeur.
Je suis partie une heure après. Sa mère m'a lancée un aurevoir de son ordinateur, Luc a passé la tête à travers la fenêtre du salon pour m'adresser un grand saluuut de la main.
Il ne pleuvait toujours pas.
Ecrit par ninoutita, le Dimanche 18 Mai 2008, 21:11 dans la rubrique Journal qui se veut intime .