© Ninoutita
J'ai soif de lumière blafarde, de yeux rouges, de danse effrénée, d'alcool chaud, d'odeur de clopes froides, de ce tranquillisant à la fumée âcre, de réflexions pas digérées, de rire gras, de futilités retentissantes.
Il me faudrait une de ces fêtes un peu glauque qui ont un je ne sais quoi qui sait réchauffer les coeurs. En l'occurence, le mien. J'ai envie de sentir palpiter mon poul au son d'un rythme électro qui s'intensifierai très vite. Les oreilles prêtes à éclater, je sortirais fumer une cigarette magique avec un inconnu à qui je prêterais ma fin. Enfin, en général, c'est plutôt l'inconnu qui me prête sa fin.
J'ai faim de lueures obscures, de bouches pourpres, de visages immaculés, de virginité violée, de savons pourris (comme celui qui trône dans ta salle de bain, qui vient de Provence il parait), de photographies avec trop de flash, de ratés qui t'abordent sans scrupule, de guitares mal accordées, de jongleurs débauchés, d'un chanteur pas talentueux et peut-être même d'une pouf à qui me confier (platement, sans réelle envie, juste histoire de parler de choses personnelles pour qu'elle puisse médire avec ses copines, se moquer et que moi, je me rie d'elle parce que toutes ces confidences étaient mensongères, parce que tu crois que je vais me confier à une pauvre conne dont j'en ai rien à foutre pendant une soirée où j'ai trop bu ?).
Ca fait longtemps que je n'ai pas fait n'importe quoi.
Ca fait longtemps que je ne me suis pas esclaffée tout en me tordant le ventre.
Ca fait longtemps que je n'ai pas craché tripes et boyaux sur un bout de bitume (enfin ça c'est plus pour le style, je ne rejette pas ce que j'ai pu ingurgiter, je n'aime pas salir ni les toilettes ni les troittoires de détritus personnels).
Oui, il y a une vague déception qui vogue dans mon âme. Elle ressemble à un garçon à barbe de trois jours qui sort plus tôt que prévu, avec une fille à l'arrière de sa byclette.
J'aurais bien caché cette dure réalité à celles qui m'ont encouragée mais à quoi bon se voiler la face (et leur mentir par la même occasion).
J'avais décidé d'être franche et les gens ont avalé de travers. Non, tu ne me fais pas chier, tu me déranges juste.
J'aurais très bien pu me jetter dans l'Ill après cette vision terrible mais j'ai aperçu une main, et avec dans cette main une gitane, et avec au bout de cette gitane des cendres qui s'écrasaient lentement sur le béton grisâtre. J'ai levé mes yeux jusqu'à la personne qui tenait cette gitane et là, mon sang n'a fait qu'un tour et j'ai dit, sans voix, un peu comme le mec là, tu sais, le mec qui parle sans le son, oui donc j'ai dit "Luc !".
Il portait un vieux blouson en daim avec un sac en cuir qui pue le chameau.
Je me suis intérieurement fait la réflexion que décidément, il était très nature ce mec. Il ne m'a pas reconnue tout de suite. Il a répondu à mon salut en cherchant dans mes yeux qui pouvait bien être cette fille, avec des reflets oranges dans ses cheveux, un rouge à lèvre rouge carmin emprunté à une amie, des yeux noircis artificiellement, une robe rose bonbon, un pull vert gazon, des chaussures orange-mécanique, un bandana noir noué autour de son cou plutôt pâlichon d'ailleurs, un bandana comme ceux qu'on noue autour des cous des labradors. Il a cherché, il a fait un sourire à cette fille aux dents rondes, à cette fille qui est moi en fait. "Inès."
Bonne pioche.
En gros ce fut : Putain ça fait longtemps comment tu vas j'étais parti à Paris chez un grand violoniste en cours privé et me voilà de retour à Strasbourg je me perfectionne en violon j'apprends le piano l'alto le saxo haha putain t'as changé c'est pas croyable t'as grandi aussi qu'est-ce que tu me raconte ?
Oh ben tu sais je ne pourrais pas tout te raconter d'une traite. Je suis au lycée, ma soeur est revenue d'Irlande, je bois moins de coca qu'avant, j'aime à m'empiffrer ces temps-ci, j'ai perdu mes esprits, je mange souvent vietnamien, je lis Aragon et bout de ficelle, j'adore faire du vélo parce qu'on est beau à vélo, j'écris des mots sur des feuilles volantes, j'aimerai bien qu'elles s'envolent vraiment et qu'elles m'emmènent loin, loin, loin, j'ai cru rencontrer l'Amour, le genre regard océan, complétement décalé et Bordelais et puis je n'ai plus eu de nouvelles ou alors des messages vocaux angoissants ah et aussi ma mère a cuisiné une succulente soupe de poireaux hier.
Voilà.
Il m'a griffonée son numéro de téléphone sur la paume de ma main. J'ai fait de même sur le dos de la sienne et on s'est dit aurevoir en se faisant un petit bisous sur la joue. Si c'est pas adorable. Mouais.
Je suis rentrée chez moi sans avoir effectué ma mission mais heureuse d'avoir revue une ancienne connaissance. Un ancien prétendant. Un violoniste à l'aura décidément très sensuelle.
Je me suis démaquillé précautieusement et j'ai lavé mes mains salies par les pots d'échappement.
Alors je me suis rendue compte que je venais d'effacer son numéro de téléphone. Et j'ai poussé un soupir de petit désespoir. Un soupir d'une incorruptible louzeuse.
Mais bon.