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Le dernier saut


On finit tous par être un peu Pierrot. Bon c'est vrai, on était déjà triste sous notre masque en poudre blanche, sous notre sourire en carton-pâte, sous nos yeux maquillés de façon à les rendre rieurs. C'est vrai que souvent, après le spectacle, pendant qu'on enlevait tout ce maquillage on laissait couler quelques larmes. Mais souvent aussi, on ne savait pas si ces gouttes salées était réellement des larmes ou juste de la sueur causée par les quelques acrobaties comiques qu'on exécutait devant un public hilare. Aujourd'hui, notre coeur ne bat plus avec la même ardeur. La mélancolie qu'on ressentait parfois en ajustant notre nez rouge s'est transformée en une désillusion déchirante. Maintenant, on ne confond plus les larmes avec la sueur. On sait dès lors qu'on est malheureux.
Nous sommes pires que des anges déchus, nous sommes des clowns désespérés et les rires du plublic ne nous comblent même plus.
Notre histoire d'amour avec l'acrobate vient de s'achever. On ne sait pas trop si c'est parce qu'il était trop loin, trop haut, trop beau ou trop gracieux pour nous. On ne se souvient même plus s'il a, un jour, ressenti un peu d'affection pour nous et notre corps terminé par des grosses godasses grotesques.
Il n'y aura même pas eu d'adieux. Notre histoire se sera fini comme quand l'acrobate fait le saut de l'ange : les spectateurs ont les mains moites et leurs coeurs s'accélèrent jusqu'à la dernière seconde où enfin il se rattrappe, toujours de justesse, à un trapèze apparu de nulle part. On a tous l'impression, même nous qui connaissons sur le bout des doigts son numéro pour l'avoir maintes et maintes fois admiré, qu'il va lamentablement s'écraser sur le sol, comme l'oiseau fragile qui se tord un jour les plumes sur l'abrupte bitume.
Puis une foule d'applaudissements résonnent. Au début on était un peu jaloux, parce que l'acrobate se faisait plus applaudir que nous et notre face pathétiquement risible. Et puis il a fait comme s'il nous aimait et on a essayé que nos mains s'entr'choquent avec encore plus de bruit que toutes celles réunies du public.

Mais ce soir, et les quelques soirs d'avant, ce n'est pas l'acrobate qui s'est écrasé, c'est Pierrot le clown qui s'est laissé quitter sans rien oser prononcer.


Seulement moi, je t'aime encore.
Ecrit par ninoutita, le Mardi 7 Novembre 2006, 20:53 dans la rubrique Journal qui se veut intime .

Commentaires :

Mønk
13-11-06 à 23:58

=)

Magnifique, comme d'hab.

Je regrette de pas te voir aussi souvent que je voudrais.

Je suis là, tout près de toi...

Je t'aime.